June 28th, 2016 Posted by Marion
Express yourself
C’est l’époque de la connexion 3G ; des wiki beats ; des grandes bibliothèques en ligne. Ou est ce qu’on retrouve la maison d’édition et le présent de livre? Quel est la perspective de ceux qui publient ? Et comment voient-ils le future ? Cette fois ci, en entretien avec Karine Joseph, propriétaire et directrice de Sirocco Publishing, basée à Casablanca. Depuis 2007, elle a apporté quelques perles éditoriales à la surface avec sa maison d’édition et renforce l’identité culturelle de Maroc parmi les siens, aussi bien qu’à l’étranger.
Comme dans d’autres pays d’Afrique, afin de comprendre le Maroc, on a besoin d’entendre ses histoires ; et ses histoires sort des tous les coins, des conteurs de Jemma -el- Fnaa, à Marrakech, aux salons de Tanger, et les rouelles de Casablanca, on est toujours invité à plonger dans une dimension narrative : “ laissez-moi vous raconter l’histoire de … ” c’est une invitation classique. Et c’est juste ca la vocation de Karine, « faire entendre : différentes et diversifiées, passés ou présentes, appartenant à tous les domaines artistiques, les voix reliés par origine ou sujet au Sud “. Au dépit de l’équilibrisme qu’on à faire en tant que petite et moyen structure entrepreneuriale, dans un monde en changement elle reste optimisme, car son affaire est plus que commerce ; elle est une entreprise des coups de cœur, humaniste par excellence, qui ne doit pas perdre l’âme.
Pour quoi le Sirocco ?
Parce que le mot est beau, parce que c’est un vent, brûlant, qui vient du Sud, un souffle fort, comme les textes, les voix, que je souhaite accompagner, faire « passer ».
Quelle est l’importance des livres dans ta vie ?
Les livres m’accompagnent, depuis toujours, tout le temps, partout. Je suis curieuse de tous les livres, de toutes les histoires et de toutes les expressions qu’ils contiennent, ils me nourrissent en quelque sorte, ils démultiplient ma vie !
Jouer avec le Sirocco, les coups de cœur et les livres c’est assez « hard core », même si ça garde la façon classique des romantiques. Comment est que tu t’es débrouilles ces jours?
L’édition ne peut pas, ne devrait pas, être uniquement une entreprise commerciale. Elle l’est forcément aussi, l’aspect économique d’une future publication doit bien être considéré. Mais c’est un métier de “passeur”, nous faisons passer les livres pour lesquels nous voulons partager notre enthousiasme, en tout cas nous sommes censés faire cela. Alors oui, éditer c’est assez “hard core” ! Je pense que cet aspect est nécessaire, la passion est nécessaire. Mais les compromis le sont aussi, et s’il faut éditer certains livres au succès moins incertain pour que d’autres existent… Du coup, c’est un métier ardu pour les petites structures, c’est en permanence de l’équilibrisme, il faut convaincre, trouver des soutiens, être “visible”, ce qui est le plus difficile, puis encore convaincre des lecteurs que ce livre vaut la peine d’être lu. Mais les émotions sont fortes quand on a pu faire aboutir un projet auquel on tient, quand les cartons arrivent de chez l’imprimeur, quand l’auteur découvre son manuscrit devenu un livre, quand on rencontre des libraires, ou des lecteurs dans les salons, et qu’ils disent avoir aimé le livre ou avoir envie de le lire.
T’as une ligne éditoriale très particulière…qui vise un univers des histoires, couleurs, rêves, émulation, folklore et modernité. Comment fais-tu le choix des publications ?
Presque tous nos livres sont nés de rencontres, c’est ce qui fait la beauté de ce métier. Au départ, la seule “ligne éditoriale” pour le Sirocco était que les manuscrits devaient avoir un lien avec le Maroc, pays où j’ai grandi, où je vis, et dont je souhaitais faire entendre les voix. Le Maroc est la ligne de force principale, mais la maison est ouverte aux passerelles avec les textes et auteurs d’autres latitudes. Le catalogue se développe maintenant essentiellement autour de la littérature contemporaine, avec une certaine exigence peut-être, sur la force des récits, la qualité de leur écriture, l’émotion, quelle qu’elle soit, que déclenche leur lecture.
Après bientôt dix ans de publications, qui décrochent des perspectives singulières sur le Maroc – comment (re)considères tu le Maroc ? Quel est le secret de son âme ?
De ses multiples facettes, certaines se révèlent au fur et à mesure des manuscrits reçus, régulièrement maintenant, il y a des jours où elles sont assez sombres, et des jours où elles m’enchantent. Il me faudra bien encore dix ans pour espérer percer le secret, et tant mieux, cela veut dire que j’ai encore des choses à apprendre, comprendre, des récits à découvrir et à faire découvrir !
Et comment se situe-t-il au niveau de l’Afrique ?
Comme dans de plus en plus de pays d’Afrique, une production éditoriale régulière et de qualité se développe au Maroc, et la chaîne du livre progresse dans sa professionnalisation. La présence de cette production dans de grands salons internationaux, en Europe, au Moyen-Orient, est maintenant organisée, bien que des solutions doivent encore être trouvées pour que les auteurs y soient aussi présents. Le Maroc a des auteurs connus dans le monde entier, malheureusement souvent édités ailleurs pour les plus célèbres, en Europe notamment ; à nous de nous montrer assez professionnels et de pouvoir leur offrir une diffusion mondiale pour les convaincre de se faire éditer dans leur pays… pour cela, l’accompagnement des institutions culturelles est indispensable. Il y a une réelle volonté d’aller vers cette professionnalisation, vers la visibilité de nos catalogues ; ainsi, un premier centre d’échange de droits vient de se tenir au salon du livre de Casablanca, des éditeurs européens, américains, africains, arabes, asiatiques, ont été invités à venir découvrir des catalogues du Maghreb et d’Afrique pour d’éventuelles cessions de droits et traductions des auteurs dans leurs pays. C’est une belle première sur le continent qui internationalise vraiment le salon de Casablanca et nous incite, nous éditeurs du Maroc notamment, à être de plus en plus exigeants avec nous-mêmes pour être au niveau d’échanges internationaux.
En parlant de rencontres de Sirocco, lesquelles t’ont touchée le plus ?
Chacune a été forte, à sa façon… Omar Sayed du groupe Nass el Ghiwane, Kenza Sefrioui, Moha Souag, Lamia Berrada-Berca, Hanane Oulaïllah Jazouani, François Salvaing… toutes les rencontres avec les auteurs ont été intenses, des aventures passionnantes, et je suis fière des livres qui en sont nés, touchée de leur confiance ; donner un texte, une œuvre, à un éditeur, n’est jamais anodin, un lien fort se crée, il faut être convaincu par ce que l’auteur a écrit pour le porter au mieux vers les lecteurs. Ileana Marchesani, éditrice au Maroc (Senso Unico), et coéditrice sur plusieurs livres qui n’auraient pas vu le jour sans elle, a été une rencontre essentielle ; l’union rend plus fort aussi quand il s’agit de défendre des projets, notamment de « beaux livres » ; mais pas seulement, nous avons aussi coédité une anthologie des œuvres d’Elisa Chimenti, une pionnière de la littérature féminine maghrébine francophone qui a vécu à Tanger toute sa vie.
Est-ce que tu t’imagines de fois un(e) lecteur / lectrice au quelle tu t’adresses ?
Pas vraiment, parce que c’est une activité “d’offre” d’abord. Nous offrons à partager, en espérant que beaucoup apprécieront ce partage. Et c’est ce qui donne son caractère, sa personnalité, à chaque maison d’édition. Proposer des livres dont on sait qu’ils seront bien accueillis, qu’ils se vendront bien donc, c’est déjà autre chose, parfois nécessaire comme je l’ai dit, mais il ne faut pas y perdre son âme…
Si on te régalerait les dons d’une muse de la littérature maghrébine ou bien africaine, qu’est que tu lui offriras pour les 5 ans à venir ?
Ce ne sont pas les beaux projets qui manquent, les ressources nécessaires pour réaliser tous ceux que l’on souhaiterait sont plus difficiles à réunir ! Cela prend parfois du temps, mais la passion est là, alors la ténacité aussi !
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